Conseil de presse : prochaine étape ?

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Il faut s’en réjouir, la Cour supérieure a rembarré Québecor dans sa poursuite contre le Conseil de presse. Le bon sens a prévalu. L’entreprise demandait notamment que le Conseil cesse d’examiner les plaintes faites à son endroit, au prétexte qu’elle s’est retirée de l’organisme en 2008 (TVA) et en 2010 (Journal de Montréal). Le jugement conclut que « comme toute personne physique et morale, le Conseil jouit de la liberté d’expression protégée par la Charte et les décisions rendues au terme de son processus de traitement des plaintes sont le fruit de l’exercice de cette liberté » (par. 225).

Autres passages qui ont attiré mon attention, puisque la cause a entraîné l’analyse de deux décisions du Conseil que Québecor a mis de l’avant pour illustrer son propos : « Il est difficile de soutenir que l’application du Guide [de déontologie du Conseil] dans le traitement des plaintes impose à MédiaQMI et TVA de s’associer à des valeurs et à des idées auxquelles elles ne souscrivent pas volontairement. En effet, la déontologie journalistique n’est pas l’apanage du Conseil. La plupart, sinon tous les intervenants, journalistes ou entreprises de presse, souscrivent à des normes journalistiques formulées dans un code, un guide, voire une convention collective. Certaines plus élaborées que d’autres, elles expriment toutes, à l’instar du Guide, des principes qui reposent sur l’indépendance, la recherche de la vérité, la rigueur et le respect des personnes. C’est le cas, notamment, du Guide de déontologie des journalistes du Québec, adopté par la [FPJQ]. Regroupant environ 250 journalistes, dont ceux de MédiaQMI, elle est la plus importante association du genre au pays. Lors de son témoignage, son secrétaire-trésorier, Eric‑Pierre Champagne, souligne que la Fédération appuie la position du Conseil dans la présente affaire alors même que le Conseil applique son propre Guide au traitement des plaintes plutôt que celui de la Fédération sans que personne n’y voie de contrainte idéologique. Aussi, la preuve est silencieuse quant aux valeurs et idées auxquelles MédiaQMI et TVA adhèrent [!]. Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut déterminer si elles se heurtent à celles véhiculées par le Guide et, partant, si le processus de traitement des plaintes exerce sur elle une coercition idéologique. À cet égard, le Tribunal note qu’encore aujourd’hui, même après le retrait de MédiaQMI et TVA du Conseil, nombre de leurs journalistes continuent de participer au processus de traitement des plaintes sans évoquer les contraintes que disent subir ces dernières. Somme toute, le Tribunal conclut qu’en traitant les plaintes visant MédiaQMI et TVA, le Conseil ne leur impose pas sa version subjective et son interprétation des règles applicables à la déontologie journalistique exerçant ainsi une coercition idéologique à leur égard » (par. 118-123).

On peut trouver le jugement ici.

Bref, tant mieux si cette épée de Damoclès a maintenant disparu. Mais il ne faudrait pas que ce dénouement heureux nous porte à conclure que tout va bien au Conseil de presse. Au besoin, on relira la petite enquête que j’ai menée en 2018, disponible ici-même, qui montre comment Radio-Canada, entre autres, s’assure de garder le pouce sur la jugulaire de l’organisme, qui a intérêt à marcher droit. Le constat n’a rien de nouveau, et je suis loin d’être le seul à le faire. Les faiblesses structurelles du Conseil de presse du Québec sont reconnues depuis longtemps et ont fait l’objet de maintes discussions depuis des décennies, sans que rien de substantiel ne change.

Un rapport de 2003 évoquait le besoin de renforcer le statut de l’organisme, son financement et sa crédibilité[1]. En 2008, l’ancien premier ministre Bernard Landry écrivait que « le Conseil de presse doit être revu, raffiné et consolidé en lui donnant pratiquement le statut de tribunal d’éthique de l’information[2] ». En 2010, le rapport Payette allait dans le même sens, et la ministre des Communications de l’époque, Christine St-Pierre, suggérait dans sa foulée que « l’État peut contribuer à consolider [son] rôle premier de tribunal d’honneur[3] ».

À peu près au même moment, le syndicat de l’information de La Presse déclarait : « Ce sont les entreprises de presse qui créent les conditions dans lesquelles s’exerce le métier de journaliste. Or, ces conditions tendent parfois à faire obstacle à l’accomplissement d’un travail journalistique de qualité. […] On constate en effet que les entreprises peuvent trop facilement contourner les responsabilités qui viennent avec le privilège de tirer profit de l’exploitation d’une “ressource” d’intérêt public, c’est-à-dire l’information. […] Or, dans l’état actuel des choses, [le Conseil de presse] n’a ni le pouvoir de contrainte ni les moyens requis pour rappeler les entreprises de presse à leurs devoirs. […] Pour rééquilibrer le fardeau des responsabilités entre journalistes et médias, il y a donc lieu, à tout le moins, de rendre obligatoire (sic) pour les entreprises de presse l’adhésion, la participation et le financement du Conseil de presse, ainsi que la publication et la diffusion des décisions du Conseil les concernant[4].

Raymond Corriveau, qui a présidé le Conseil de presse pendant plusieurs années, écrivait en 2010 : « En intervenant pas, les politiciens ont créé leur propre maître [et ils] y pensent à deux fois avant de prendre des mesures, si infimes soient-elles, qui grignotent le pouvoir des médias. Les entreprises de presse ne réclament ni plus ni moins qu’un statut « hors société », sans règlement ni contrainte, sous prétexte de ne pas se voir corrompues par quelque forme de présence gouvernementale. […] Il n’y a pas de statut « hors société » et les balises que nous ne mettons pas collectivement à ces entreprises leur permettront des excès et un abus de pouvoir médiatique. […] Il faut d’abord constituer une instance d’arbitrage valable. L’autoréglementation aurait pu fonctionner, mais après plus de 35 ans d’existence, force est de constater que les entreprises de presse ne l’ont pas voulu. Il faut donc se débarrasser de la précarité financière du Conseil de presse et constituer un tribunal administratif. » [5]

« Il faut être clair, tous les conseils de presse ont été créés pour protéger les médias. Aussitôt qu’un conseil prend trop à coeur le droit du public à l’information, des médias s’en écartent. C’est aussi simple que ça » signalait l’expert en déontologie et en sociologie du journalisme Marc-François Bernier en 2010[6]. S’en écartent, ou tentent de le contrôler.

Les médias, au Québec, ont aisément réussi à manipuler le système en leur faveur en s’assurant que soit dilué le code de déontologie du Conseil de presse et en exigeant une révision à leur avantage du processus de traitement des plaintes. En catimini, on a modifié les règles du jeu. Il n’a pas été jugé utile de tenir une consultation publique, ou une commission parlementaire sur la question, comme ce fut le cas en 2019 pour écouter les médias pleurer sur la chute de leurs revenus publicitaires. Adélard Guillemette, ancien sous-ministre de la Culture et des communications, déclarait cette année-là : « Le Conseil [de presse] a pour fonction essentielle d’analyser les plaintes du public. Pour y avoir siégé pendant sept ans, et vécu des crises à répétition, certaines plus médiatisées que d’autres, je crois qu’une bonne cure de jouvence est devenue nécessaire, profitant des changements majeurs qui s’opèrent dans le monde des médias. Organisme en apnée, constamment ballotté entre les menaces du retrait de l’un ou l’autre de ses membres qui appréhendent un jugement négatif à propos d’une plainte les concernant, il faut sortir le Conseil de ce psychodrame »[7].

Raymond Corriveau déplore pour sa part que « l’influence des entreprises de presse ne cesse d’augmenter » et que cela mène à un « affaiblissement » de l’institution. Les nouvelles lignes directrices en matière de déontologie, diluées, « les nouvelles procédures aussi bien que les personnes qui les ont mises en place sont totalement asservies aux intérêts des entreprises de presse. Le Conseil de presse est comme un vieux bâtiment devenu impossible à rénover, il faut repartir sur d’autres bases », écrivait-il, lui aussi en 2019 »[8].

En 2020, Le Devoir demandait au ministère de la Culture et des Communications de rehausser le financement public du Conseil de presse, afin que celui-ci soit « stable et pérenne »[9].

Pour ma part, j’ai écrit dans mon plus récent livre : « On ne peut avoir que des attentes très modestes à l’égard des conseils de presse tant que l’industrie de l’information exercera sur eux un contrôle aussi serré. Les médias et les journalistes font les règles, s’assurent qu’elles sont floues et gardent au pas les organismes qui les appliquent. Ce ne sont pas les conseils de presse, du moins dans leur incarnation actuelle, c’est-à-dire sans indépendance et sans moyens, qui vont régler un problème dont la presse ne reconnaît même pas l’existence. L’industrie a capturé ses régulateurs. Elle peut bien critiquer Big Pharma, Big Oil, Big Tech et Big Tobacco, son comportement n’est pas si différent. Il faut revoir entièrement la structure, les prérogatives et le financement des conseils de presse. Il faut en écarter d’urgence, et complètement, les médias, dont le bilan de fiduciaire est pitoyable. Il faut s’assurer qu’ils puissent compter sur de véritables experts en matière de déontologie. Il faut leur donner de véritables pouvoirs, notamment d’enquête et de sanction »[10].

En 2015, alors qu’il ambitionnait devenir Premier ministre, Pierre-Karl Péladeau, chef de Québecor, affirmait qu’il « n’était pas en désaccord avec d’éventuelles modifications » consistant à accroître les pouvoirs du Conseil de presse[11]. C’est bien noté. Passons à l’acte.

© Michel Lemay


[1] Saint-Jean, A., Rapport final du Comité conseil sur la qualité et la diversité de l’information, 2003.

[2] Bernier, M.-F. Journalistes au pays de la convergence, p. XIII.

[3] Payette D., L’information au Québec : un intérêt public, 2010 ; et Pour une information au service de l’intérêt public, orientations du ministère de la culture, des communications et de la condition féminine, 2011.

[4] Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse (STIP), Mémoire sur l’avenir de l’information d’intérêt public, septembre 2011.

[5] Corriveau, R., L’information : des changements profonds à apporter, Le Devoir, 30 décembre 2010.

[6] Baillargeon, S., Médias, Comment redresser le chien de garde, Le Devoir, 20 mars 2010.

[7] Guillemette, A., Que faire pour endiguer la crise des médias ? Le Devoir29 août 2019.

[8] Corriveau, R., L’importance de repartir du bon pied, La Presse, 30 août 2019; et Regard sur le Conseil de presse du Québec, présentation à l’Université Laval.

[9] Le Devoir, S’inspirer de la gestion de crise pour construire l’avenir, Le Devoir, 12 décembre 2020.

[10] Lemay, M. INTOX, journalisme d’enquête, désinformation et « cover-up », p. 376. Certains passages qui précèdent sont également tirés du livre.

[11] Bélair-Cirino, M. Tirs groupés contre le rapport Payette, Le Devoir, 5 novembre 2015.