Des croûtes à manger

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Le récent « rapport annuel 2021 » de La Presse n’a rien d’un rapport annuel au sens habituel du terme, et tout de la brochure publicitaire. L’essentiel du contenu, outre les prévisibles messages d’autosatisfaction de la direction, est une banale revue de l’année, une sorte de Bye Bye 2021. Les « vraies affaires », de celles qu’on trouve normalement dans un rapport annuel, brillent par leur absence. Sur le plan de la transparence et de la reddition de comptes, La Presse a encore des croûtes à manger.

Premièrement, éléphant dans la pièce, maintenant que La Presse vit en partie de dons et de crédits d’impôt, on s’attendrait à davantage d’information financière. En principe, même, à des états financiers vérifiés et complets. Le rapport lui-même ne contient à peu près rien à ce titre, mais dans un message accompagnant le document on nous dit « prévoir » un bénéfice net de 14 millions de dollars en 2021, et terminer l’année avec une encaisse de 35 millions.

La Presse, semble-t-il, ne veut pas montrer ses chiffres à ses concurrents. Voilà qui n’impressionnera pas beaucoup les équipes de direction des sociétés cotées en bourse et de tous les organismes à but non lucratif qui sollicitent des dons — autant d’organisations, comme chacun sait, qui n’ont aucun concurrent.

Que devrait-on trouver de plus dans le rapport annuel d’une entreprise de presse, a fortiori lourdement financée par le public, au 21e siècle ? En fait, dans un monde idéal, beaucoup de choses dont l’existence même n’est pas mentionnée dans le « rapport annuel » de La Presse.

La Global Reporting Initiative (GRI), une ONG qui a fait ses débuts il y a 25 ans, bien connue de tous ceux qui se préoccupent de développement durable, de reddition de comptes et de bonnes pratiques, s’est penchée sur la question et publie depuis une dizaine d’années des standards spécifiques pour les médias d’information. D’autres initiatives ont été prises. Des professionnels des médias, regroupés sous l’égide de l’Union de radiodiffusion pour l’Asie et le Pacifique, ont développé une adaptation de la norme ISO 9001 pour les médias d’information : le standard ISAS MEDIA 9001. J’en ai parlé ici-même en 2016.

Voici ce que dit notamment la GRI au sujet des normes et des outils qu’elle a développés :

« As businesses, media organizations have responsibilities that are broadly similar to those of other companies. The term ‘footprint’ is often used to reflect their economic, environmental and social impacts. What is particular to media organizations is that they can also be considered to have a ‘brainprint’: the impact and influence they have on society through their content. This brainprint means that content can affect attitudes, behaviors and public opinion, which poses additional responsibilities on media organizations towards society. It is acknowledged that it is challenging to effectively assess specific impacts of content. Through [our] Sector Disclosures, tools and guides have been developed to transparently disclose the values, management approaches and indicators that relate to content production and dissemination, as well as for all other business operations. With freedom comes responsibility, and responsibility requires ethical decision making. The media organizations and stakeholders who designed the Media Sector Disclosures believe those companies who use it to measure and report their performance will build trust and reputation, which are key success factors in a rapidly changing and challenging environment ».

Voici donc un très bref survol de sujets que le public devrait espérer voir abordés dans le rapport annuel d’un média d’information. Surtout quand il se gargarise de l’expression « information de qualité ».

  • Description des politiques éditoriales, des valeurs et des lignes directrices gouvernant la mise au point des contenus ; des processus implantés pour assurer la conformité avec celles-ci ; et des résultats obtenus, ce qui suppose qu’ils sont mesurés.
  • Description des principes et des précautions qui sont mis de l’avant pour gérer les contenus provenant de l’extérieur.
  • Description des politiques et processus en place pour accueillir les suggestions, plaintes et demandes de correctifs, et pour y donner suite.
  • Politiques en place en matière de confusion des genres (publicité et journalisme), de conflits d’intérêts, de diversité et de pluralisme.
  • Quantification de tous les incidents de non-conformité, dans tous les domaines, et mesures prises pour y remédier.
  • Description et quantification des activités de formation du personnel.
  • Description des efforts de l’organisation en matière de développement durable.

Ce n’est là qu’un échantillon très sommaire, mais il est suffisant pour donner la saveur. Si le métier est l’information, on s’attend à un minimum de contenu portant sur le sujet. Évidemment, on convient que, dans les médias, ces pratiques ne sont pas très répandues. L’industrie de l’information, en ces matières, fait figure de cancre, et le cas de La Presse n’a rien d’unique. Si ce n’est que de nombreux médias, à tout le moins, n’ont pas la prétention de publier un rapport annuel.

© Michel Lemay