Père Noël, apporte-moi des bonnes nouvelles

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«There can be no liberty for a community which lacks the means by which to detect lies».[1] Aurons-nous un jour des nouvelles certifiées ISO 9001 ? Est-ce croire au Père Noël ? Une forte majorité d’Américains, 88 %, estiment que les fausses nouvelles entraînent de la confusion. Mais 23 % d’entre eux ont contribué à les disséminer, parfois en toute connaissance de cause, selon le Pew Research Center.[2] La plupart de ceux qui ont été exposés à ces nouvelles y croient.[3] Nous aurions donc, d’une part, des gens qui ne sont pas en mesure de démêler le vrai du faux, et qui en conséquence sont disposés à douter de tout ou à croire n’importe quoi. D’autre part, nous vivrions dans un monde où chacun peut maintenant choisir sa vérité pour ne plus en démordre. Vous pourrez toujours essayer de les convaincre, preuves à l’appui, rien n’y fera, vous ne ferez que renforcer la croyance initiale. L’ère de l’information ? Non, la fiction et le réel sont sur le point de se trouver irrémédiablement entremêlés, du moins pour une partie de la population. Et comment pouvez-vous être certain, vraiment certain que ce n’est pas votre cas ? Qu’est-ce qui vous prouve que ce que vous croyez est vrai ?

Pendant ce temps, les démagogues et les agitateurs tirent les marrons du feu.

Pointés du doigt, les réseaux sociaux sont coincés dans la tourmente, mais les fausses nouvelles n’ont rien de nouveau. Elles n’ont pas attendu Facebook ou Twitter pour faire des ravages. Il faut cependant reconnaître que grâce à eux le phénomène a pris de nouvelles proportions. À la lumière de ce qui se passe présentement, les Blair, Kelley, Williams et autres Bugingo apparaissent sous un nouveau jour… Avec eux, en somme, nous étions dans les ligues mineures.[4]

Facebook a annoncé il y a quelques jours des mesures pour tenter de juguler le phénomène. Les usagers pourront signaler les nouvelles douteuses, qui le cas échéant seront examinées par des « fact-checkers » et étiquetées en conséquence. On verra ce que ça va donner à l’usage, mais l’affaire s’annonce complexe. Les mots «vrai» et «faux» ont-ils encore un sens ? Pour certaines personnes, non. Il y a fort à parier que le discrédit sera jeté sur des nouvelles légitimes, et que des fausses nouvelles survivront à l’exercice. Et que se passera-t-il lorsque la «fausse nouvelle» proviendra d’un «vrai média»  et pas d’une paire de zigotos dans un demi sous-sol en Ukraine orientale ? Beaucoup de plaisir en perspective.

Le récent Pizzagate a montré comment le délire total nous guette. La nouvelle ? Hillary Clinton aurait été à la tête d’un réseau pédophile international qui opérait depuis l’arrière-boutique d’une pizzeria de Washington. Rien de moins. Sur Twitter, le fils du futur conseiller à la sécurité nationale a mis les journalistes au défi de prouver que c’était faux.

En sommes-nous là ? Une affirmation, manifestement farfelue, promue par des sources officielles, et présumée vraie tant qu’on n’aurait pas réussi à prouver le contraire ?

En l’occurrence, un nommé Welch a bondi dans sa voiture et conduit six heures pour aller «faire le ménage» dans le restaurant en question, armé d’un fusil d’assaut, dont il s’est servi. Heureusement, personne n’a été blessé. Après que Welch a été arrêté, la «nouvelle» est devenue, sur Twitter, qu’il était un acteur engagé par les médias pour détourner l’attention du fond de l’affaire.[5]

Un certain pays a-t-il orchestré une machination visant à influencer l’élection américaine ? Est-il intervenu dans le récent référendum en Italie, comme certains le croient ?[6]

S’ajoutent donc à l’équation certains politiciens et leurs sbires, dont on ne sait plus comment il faut les décrire. Le vocabulaire commence à manquer. Démagogues ? Propagandistes ? Ça ne leur rend pas justice. La campagne du BREXIT et l’élection américaine ont en effet amené du nouveau : la fierté du menteur assumé qui, pris en flagrant délit, s’en fiche complètement, s’en fait une gloire et en rajoute une couche. D’où la nouvelle expression à la mode : nous serions à l’ère post-factuelle. La réalité et la vérité n’auraient plus aucune importance.

Faut-il vraiment s’en remettre aux ingénieurs de Facebook pour nous sortir du foutoir orwellien qui se dessine ? Comment vont-ils y arriver, lorsque les uns et les autres vont qualifier de bêtises tout ce que les uns et les autres racontent ? Doit-on être rassurés parce qu’ils auront l’aide de quelques salles de nouvelles ?

L’élection américaine a montré les limites de l’influence des médias et du discours de la raison. Ce qui est vrai, pour l’auditeur «post-factuel», c’est ce qui confirme et renforce ses convictions, point final; le reste, c’est de la propagande. Les bons journalistes, pour lui, ce sont ceux qui disent ce qu’il veut entendre, et il en trouve toujours. Les autres sont des complices de «l’establishment». «Fewer and fewer people are open to the best obtainable version of the truth» observe Carl Bernstein.[7]

S’il entend faire partie de la solution, le monde du journalisme devra d’abord rétablir la confiance, qui est en berne depuis des années, et au premier chef cesser de fabriquer lui-même de la fausse nouvelle.

A priori, il n’est pas trop tard. Aux États-Unis, les abonnements au New York Times ont explosé après l’élection. Même chose à Vanity Fair, après une attaque de Trump envers le magazine. The New Yorker, The Atlantic, The Wall Street Journal, The Los Angeles Times et The Washington Post ont également vu leurs abonnements augmenter. Phénomène semblable chez NPR et ProPublica.[8] Tout n’est peut-être pas perdu.

Néanmoins, a priori, les systèmes d’assurance-qualité des salles de nouvelles ne sont pas très sophistiqués et demeurent vulnérables. Il ne saute pas aux yeux que les médias ont fait ce virage, auquel se sont pourtant astreint une multitude d’entreprises dans le monde, dans la foulée du lancement en 1987 de la première version de la norme ISO 9000. On ne s’étonne donc pas qu’une bonne moitié des gens, en gros, ne croient pas ce que les journalistes racontent, ou ont des doutes. Une partie de l’information n’est effectivement pas fiable. Les gens s’en rendent compte et en viennent à tout prendre avec un grain de sel, même l’information de qualité, qui demeure pourtant abondante. Encore faut-il pouvoir la distinguer de l’autre.

Désireux d’offrir aux responsables des médias un outil de pilotage performant et éprouvé, des professionnels des médias du monde entier se sont regroupés sous l’égide de l’Union Asie-Pacifique de Radiodiffusion pour développer une adaptation de la norme ISO 9001 pour les médias d’information. L’idée générale est simple : mettre au point une certification en matière d’assurance-qualité, qui suppose une vérification par une tierce partie, comme c’est le cas dans tous les autres secteurs de l’économie qui ont fait le virage de la qualité. Des médias du Mexique, de Malaisie, d’Indonésie, de Thaïlande, de Suisse et de France, entre autres, ont obtenu la certification, sont engagés dans le processus ou utilisent le standard ISAS MEDIA 9001. Celui-ci, initialement lancé il y a près de quinze ans, a été actualisé en 2016 et sert de référence à plus d’une cinquantaine de médias dans le monde.[9]

«L’implantation de la norme ISAS MEDIA 9001, en encourageant la prise en compte systématique des exigences et des attentes des audiences et des annonceurs dans les contenus produits, a des effets perceptibles en matière d’amélioration continue, et entraîne des gains de crédibilité et de part de marché parfois très significatifs» souligne David Balme, directeur général de Challenge Optimum SA.

«Le défi devient pour les médias de choisir leur camp : se battre pour maintenir et augmenter la crédibilité de l’information ou s’asservir à une interprétation éclatée et communautariste qui n’augure rien de bon pour nos sociétés libérales. Si les médias acceptaient de s’encadrer dans une approche structurée et éthique de leur performance, peut-être pourrions-nous mieux combattre la dérive qui nous menace. La norme ISAS MEDIA est une extraordinaire initiative, menée par des gens convaincus de l’importance de la contribution des médias. Cette norme spécialisée est assise sur la norme générique ISO 9001, laquelle est de façon incontestée la plus utilisée au monde, et la plus appréciée pour les résultats qui découlent de son utilisation appropriée» estime Pierre F. Caillibot, spécialiste de la gestion de la qualité ayant contribué durant 40 ans à l’évolution de la normalisation nationale et internationale en ce domaine.

Selon la norme ISAS MEDIA, les médias devraient notamment avoir une mission claire et une ligne éditoriale bien définie; accorder une grande importance à l’exactitude; avoir des mécanismes efficaces pour identifier et corriger les erreurs; avoir et diffuser un code d’éthique; disposer des mécanismes nécessaires pour recueillir les commentaires du public et des parties intéressées et y donner suite.

Sur tous ces fronts, il m’apparaît que les médias canadiens pourraient aisément rehausser la barre, qui chez certains d’entre eux est plutôt basse. Adopter des pratiques d’excellence en matière de rectificatifs, par exemple, n’a rien de bien sorcier. Rendre publics les politiques éditoriales et les codes de déontologie (comme plusieurs le font déjà) coule de source : ne pas le faire soulève des questions d’allégeance et d’imputabilité. Quant à l’écoute du public, si on veut bien ne pas confondre la question avec une proximité de façade, il y aurait des choses à faire.

On compte sur le Père Noël.

Joyeuses Fêtes!

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© Michel Lemay. Reproduction d’extraits permise avec mention de la source. En 2014, l’auteur a publié VORTEX, la vérité dans le tourbillon de l’information, chez Québec Amérique.

[1] LIPPMANN, Walter. Liberty and the News, 1920.

[2] WANG, Shan. Most Americans say “fake news” has sown confusion. Some share it even though they know it’s fake. NiemanLab, le 15 décembre 2016.

[3] Selon un sondage IPSOS Public Affairs/BuzzFeed News. Voir : SILVERMAN, Craig et SINGER-VINE, Jeremy. Most Americans Who See Fake News Believe It, New Survey Says. BuzzFeed, le 6 décembre 2016.

[4] Jayson Blair, attrapé pour plagiat et fabrication (New York Times), Jack Kelley, pour fabrication (USA Today); Brian Williams (NBC) et François Bugingo (médias variés) pour enjolivement de leurs exploits personnels. Ceci à titre d’échantillon, il existe une longue liste de fabricateurs et de plagiaires. Voir mon livre : VORTEX, la vérité dans le tourbillon de l’information, Québec Amérique, 2014.

[5] KANG, Cecilia et GOLDMAN, Adam. In Washington Pizzeria Attack, Fake News Brought Real Guns. New York Times, le 5 décembre 2016. BLAKE, Aaron. Michael Flynn’s tweet wasn’t actually about #PizzaGate, but his son is now defending the baseless conspiracy theory. Washinton Post, le 5 décembre 2016.

[6] HOROWITZ, Jason. Spread of Fake News Provokes Anxiety in Italy. New York Times, le 2 décembre 2016.

[7] SULLIVAN, Margaret. As Trump era nears, is the media ready for the challenge? Washington Post, le 18 décembre 2016.

[8] RUTENBERG, Jim. By Attacking the Press, Donald Trump May Be Doing It a Favor. New York Times, le 18 décembre 2016.

[9] http://www.abu.org.my/images/articles/Legal/articles/ISAS%20MEDIA%209001-2016.pdf. Ceux qui sont intéressés par cette question devraient également consulter le supplément média du Global Reporting Initiative (GRI), qui va dans le même sens: https://www.globalreporting.org/resourcelibrary/GRI-G4-Media-Sector-Disclosures.pdf