Du bon usage des sources anonymes

 

“Why should I go to that cemetery? It’s filled with losers.” — Donald J. Trump. Accorder l’anonymat à une source est certes permis par la déontologie. Le dispositif a prouvé depuis longtemps son utilité publique. Je ne connais personne qui remette le principe en cause, ni son pendant, le droit de la presse de protéger l’identité de telles sources. Néanmoins, il ne semble pas clair pour tout le monde qu’il s’agit le cas échéant d’une dérogation — nombre de codes de déontologie en parlent sans ambiguïté comme d’un « dernier recours ». La règle, en journalisme, c’est que les sources sont nommées, pressées de parler à visage découvert. L’anonymat, c’est l’exception. Des conditions s’appliquent (ceux qui veulent creuser la question pourraient relire ici mon texte de 2016 sur le sujet).

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La terreur

Incident politico-journalistique au Québec. Un philosophe de l’Université McGill a été traîné dans la boue sur la base d’informations fausses, et un ministre nous a montré de quel bois il se chauffe lorsqu’un chroniqueur lui lance un défi. De telles affaires ont leur utilité. Elles exposent au grand jour, pendant un court moment, quelque chose qui pour le public, au quotidien, est très difficile à discerner : les valeurs. Les véritables valeurs qui ont cours dans les salles de rédaction. Les valeurs professées comme slogan publicitaire, c’est une chose. Les valeurs opérationnalisées, vécues, celles qui gouvernent vraiment les comportements et les décisions, c’en est une autre. Chaque fois qu’il y a bévue, impair, le voile s’entrouvre pendant un court moment. La manière dont le média et le principal intéressé réagissent en dit long sur leur ethos.

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La commission de l’inculture

 

Les patrons des médias ont dû festoyer à l’issue des audiences de la commission parlementaire sur les médias. Je les imagine morts de rire, après avoir vu les syndicats monter à leur défense, compatissant à leur sort, bien enroulés dans l’étendard du droit du public à l’information. Les sujets que tous, à commencer par le gouvernement, voulaient éviter ont effectivement été noyés dans les clichés et la pusillanimité. Il faut dire qu’à écouter les élus, on s’est vite rendu compte qu’ils étaient totalement largués et qu’il ne fallait pas compter sur eux pour démêler tout ça. La complexité des enjeux leur échappait complètement, ils n’étaient aucunement préparés. Toutes les questions glissantes ont été évitées, et ce ne fut pas bien compliqué. Nous venons collectivement de brûler une belle occasion de faire le tour du jardin de l’information. Lire la suite

Commission parlementaire sur les médias: show de boucane?

 

Le 30 novembre 2018, la Ministre de la culture et des communications annonçait une commission parlementaire « sur l’avenir de l’information au Québec ». « Nous avons décidé d’agir afin d’obtenir une vision d’ensemble de la réalité de l’information partout au Québec et pour trouver, en collaboration avec les divers intervenants du milieu, les solutions pour faire face aux profondes transformations que vit ce secteur » nous disait-on. C’était prometteur, mais la commission, qui amorce ses audiences aujourd’hui, embrassera moins large que promis. Sans tambours ni trompettes, son mandat a été modifié en cours de route. Elle s’appelle maintenant la commission sur l’avenir des médias. Elle va se limiter à examiner le financement des entreprises, la viabilité de leurs modèles d’affaires, leur « indépendance » et leur présence régionale. La « vision d’ensemble » que le gouvernement estimait nécessaire à l’automne n’est plus à l’ordre du jour. C’est d’argent qu’on va parler avant tout, pas d’information. On a pu constater la hauteur que prendra la conversation lorsque la CSN, jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de siphonner quelqu’un au bénéfice de ses membres, a vu le salut dans une taxe sur les téléphones.

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Quinze ans après Néron, la Terre tourne toujours

En juillet 2004, avec sa décision dans le dossier Néron, la Cour suprême du Canada formalisait le concept de journalisme « raisonnable ». Plusieurs dans les médias ont rapidement conclu, à l’époque, que le ciel venait de nous tomber sur la tête. Que c’en était fini de la liberté de presse. On a crié à l’imposture[1], à l’abus de pouvoir[2]. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec menait vaillamment la charge, la présidente Anne-Marie Dussault clamant que ce jugement « inique » consacrait l’intrusion des juges dans les choix éditoriaux[3]. Quinze ans plus tard, je n’ai trouvé trace ni d’intrusion, ni d’accroc à la liberté de presse. J’ai demandé à la FPJQ si elle pouvait pointer du doigt quelque cause célèbre. Ou si, sait-on jamais, avec le recul, elle avait aujourd’hui une position plus nuancée. On n’a pas jugé bon de me répondre. En attendant, non seulement la Terre tourne toujours, mais il semble bien que l’arrêt Néron profite avant tout aux médias. Lire la suite

Et donnez-nous notre scandale quotidien

« Un décompte qui ne passe pas », annonçait La Presse, à la une, le 28 janvier dernier. Le journaliste Tommy Chouinard écrivait : « Le Ministère de l’Éducation a causé toute une commotion en demandant à des commissions scolaires de dénombrer les enseignants et les membres de la direction des écoles qui portent un signe religieux au travail ».[1] La demande de dénombrement était présentée comme fait avéré, aussi bien dans le texte qu’en manchette.

À Radio-Canada, Michel C. Auger en trépignait d’indignation. Le gouvernement cherchait des chiffres ! Il voulait se documenter ! Comprendre ! Quelle horreur ! Lire la suite

De la fausse nouvelle au poteau d’exécution

 

La lecture de « L’Exécution », livre coup de poing du Dr. Albert Benhaim, ne peut laisser indifférent.[1] L’ouvrage relate le révoltant parcours du combattant qu’ont fait vivre à l’auteur la Régie de l’assurance-maladie du Québec et le Collège des médecins, sans raison valable. Des années de harcèlement moral et institutionnel, une saga qui soulève beaucoup de questions, notamment au chapitre des abus de pouvoir que le système semble permettre. L’affaire a commencé avec un article publié dans La Presse, qui mérite qu’on s’y attarde. Lire la suite

Controverse: Guide d’Assemblage

Le 25 octobre, le National NewsMedia Council (NNC) a rendu une décision au sujet d’un article publié dans le Globe and Mail en juillet dernier. Une décision intéressante, pas totalement satisfaisante, et à bien des égards éclairante. L’article en cause, publié le 31 juillet, intitulé « Russia’s power line: How Bombardier helped build a controversial railroad along Ukraine’s border », n’y allait pas de main morte. Il occupait toute la une et deux pages intérieures. Pas banal. Grosse nouvelle, donc. Mais dans des cas comme celui-là, l’expérience montre qu’il faut faire une lecture attentive du texte, ça sent la nouvelle gonflée à l’hélium.

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Conseil de presse: le parcours du combattant

Il a fallu près de trois ans, et quelques ultimatums bien sentis, pour resserrer les boulons du processus de traitement des plaintes au Conseil de presse du Québec (CPQ). Et c’est réussi, ils semblent nettement plus serrés qu’avant. L’affaire a commencé avec des accusations d’influence indue dans le traitement des plaintes à l’endroit du Secrétaire général du Conseil. Elle se termine avec un processus « renouvelé » complexe, qui risque de rendre la tâche des plaignants plus ardue et d’allonger les délais. Un certain équilibre des forces en présence, déjà matière à débat, a-t-il été rompu ?

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Pile, je gagne. Face, tu perds

Le récent virage à 180 degrés du Conseil de presse du Québec au sujet du reportage de Radio-Canada sur les démarches alléguées de financement politique de Claude Blanchet soulève des questions (D2014-07-008). Alors que la plainte avait été jugée fondée par le Conseil en 2015, voilà que le reportage hier jugé tendancieux est maintenant érigé en modèle à suivre. En effet, la décision révisée ne s’accompagne d’aucune nuance. Pas la moindre réserve. Selon le Conseil, nous sommes devant la perfection même. On envoie ici de drôles de signaux. En applaudissant le déroulement du tapis rouge à des sources anonymes dont les motifs demeurent nébuleux. En mettant insinuation et démonstration sur le même pied. Et au final en abaissant considérablement la barre en matière de journalisme d’enquête.

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